Brest de Babel

Des fouilles menées à l’emplacement actuel d’Old Fort Bay, sur la Basse Côte Nord au Québec, révèlent qu’une véritable cité cosmopolite s’organisait à cet endroit, dès le début du XVIè siècle. Des pêcheurs basques, normands et bretons passaient l’été dans ce havre qu’ils partageaient avec les Innus. On l’appelait Brest. « Le dixiesme jour dudit mois de juign, nous entrames dedans ledit havre de Brest avec nos navires », mentionne le journal de bord de 1534 de Jacques Cartier, dont le nom est passé à l’histoire tandis que celui des pêcheurs qui l’avaient informé a été oublié. Les noms disparaissent des cartes marines ou d’identité, au gré de l’histoire sans cesse réécrite. Les mappemondes ont gardé trace de ce Brest de Babel jusqu'au XVIIIè siècle, mais les roches brûlées des presqu'îles du nord s'en souviennent encore. Ce filet que des pêcheurs ont jeté dans notre sang.


Ils parlent de la lenteur 
que la nuit drague autour d'eux,
du persil de la mer sur la route de l'Aigle, 
de la pelure de la peau sous le couteau des glaces 
à l'approche du Grand Banc 

Ils nomment souvent le sel

Ils disent que des deux côtés
Brest les attend, mais ici 
même le pain
a le goût du plancton

Le grésillement de la graisse des baleines 
fondant dans les fours scande le temps  
effacé par la neige, un présage 
certains ne repartiront pas

Peut-on disparaître dans l’amour ?

Il paraît que l’un d’entre eux a déjà perdu racines
en respirant une peau, il aurait 
pris femme à défaut de prendre terre
là où la rivière Unaman, la Peinte
a faim de traces de pattes
et de pas dans sa glace

Cette femme assoiffée de mousses
porte le bois du caribou accroché à son sein,  
elle boit la saveur de l’eau douce 
au sabot du cervidé amateur 
de baies amères

Papakassiku 
est le nom qu’elle prononce chaque matin
en s’approchant du lac,
elle compte les rides du monde
à la mesure des halètements 
d’un souffle contre sa joue

Les premières neiges rappellent à l’ancien marin
la douceur des marées d’équinoxe,
l’amour de sa femme pour le Maître des animaux
ne lui rappelle que le vent
solide contre son front
en pleine mer

Ses compagnons de pêche ne l’ont pas revu  
mais quand un caribou en quête  
de petits fruits couleur feu  
s’égare sur le rivage,
l’envie de le faire monter 
à bord les traverse

Ils ajoutent :
Comme ces cerfs blancs
dans les auges de pierre des ermites irlandais. 



Voix de ce texte et compléments sur Oeuvres Vives, Escale à Paimpol
© Laure Morali_février 2011


Commentaires

  1. Merci, c'est magnifique. Tes mots sont comme une source qui puisse sa force dans les secrets des mondes anciens et nobles.

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