Robe jaune
La fille en robe jaune sur la photo. Elle fait mentir la blancheur des fantômes. Ses yeux de steppe la confondent. Autour d’elle, le monde s’estompe. L’Irlande, l’Écosse, l’Islande. Ou la Terre de feu. Perdre le pouls de la pierre, prendre un envol glaz. Rouler, bringuebalée par les vagues, bran, glossen. Elle en appelle au corbeau, à l’écueil. N’a pas l’intention de laisser, par attente, ses paupières tomber. Elle ne regarde pas la mer, mais l’ar Mor, la Grande, pas mort ni mère par amour, l’immense dans laquelle respirer, les poumons pleins à craquer. Mouillée jusqu’au cou. Elle se baigne à la marée montante dans la brume buvard des lumières sur les galets chauffés. Feunteun velen des amours jaunes. Un dernier chagrin d’enfance la précipite au point de non retour. Men Du. Elle ne sait pas encore que les bouts du monde qu’on quitte coupent les gens en deux. Penn ar Ru Meur. Les pierres grondent. Dans quel tourment plonge la Pointe du Grand Tertre ? Celle que la roche donne au large se cognera à la porte de sa mère en peine perdue. Malloezh ar stered hag an heol. L’eau des sources coulera à flots à chaque lever de soleil d’entre ses cuisses de genêt. Bohémienne de la mer. Sol, sun, heol. Elle ira d’île en île, insolente et distraite, faire trembler sa langue de falaise. Quand elle dira korz pour roseau, on comprendra corps et on pensera qu’elle s’offre, turbulente et souple. Éprouvant la terre à chaque cassure. Elle fredonnera souvent la même complainte. L’histoire de Skolvan, tueur errant banni par sa mère non pour ses meurtres, mais pour la perte d’un petit livre. Tevet, ma mamm, na ouelet ket, ho lever bihan n’eo ket kollet. Taisez-vous, ma mère, ne pleurez pas, votre petit livre n’est pas perdu. ’Mañ er mor don tregont gourhed. ’Mañ er mor don tregont gourhed. Il est dans la mer à trente pieds. Il est dans la mer à trente pieds. En beg ur pesk bihan o viret. Gardé dans la bouche d’un petit poisson. Il ne lui manque que trois pages mouillées.
La photographie, en haut de page, est de Michèle Dujardin, qui avait accueilli ce texte sur son site Abadôn dans le cadre des Vases communicants, en décembre 2010. Au même moment, les Portes accueillaient son poème Ouvre bleue.
© Laure Morali _ 13 mars 2011
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