La voix transparente des baleines - extrait de "Comment va le monde avec toi"

  Lecture: Guillaume Vissac

Les tempêtes n'étaient pas des chevaux. Les vaches n'avaient pas de collier. Nous avions le flair des chiens, la voix transparente des baleines, la vue chlorophylle. Nous étions des catalyseurs de nuages, des émetteurs de pollen, capables de répondre d'un bout du monde à l'autre aux appels de ceux qui avaient besoin de nous. Les mots sont magiques. Tu les penses et ils apparaissent. Nous tenons notre instinct à la main. On nous dit voyageurs, errants, hommes d’affaire, émigrants, déplacés, touristes, poètes, politiciens, navigateurs, astronautes, altermondialistes, immigrants, expats, explorateurs immobiles. On peut nous localiser en un rien de temps partout sur la planète et autour. Mais combien de pensées circulent en secret avec le même pouvoir que des couteaux et des caresses dans l’air. Nous photographions les mammifères marins avec notre I phone et nous empressons de partager cette image avec le plus de monde possible pour que le monde sache que nous avons été témoin de l’apparition d’une espèce en voie de disparition. Les arbres pleurent et prient pour qu’on porte des lunettes infrarouge. Qu’on se souvienne de nos langages de buis, de laurier, de sauge, d’épinette blanche, d’ayahuasca, de hêtre. Et si les vaches nous regardent avec cette insistance désolée, c’est qu’elles attendent encore qu’on reconnaisse en elles de dignes descendantes des aurochs. Nous sommes des nomades. Nous fonçons à travers la brume de mer. « Baleines ou remboursés ». À ce compte-là, rien à perdre. On nous a habillés comme des cosmonautes malgré la canicule. Nous sommes montés dans ce minibus déjà presque plein pour descendre au quai à moins de cent mètres. Un instant, j’ai pensé que j’étais à Roissy, dans la navette qui fait le tour des aérogares. C’est ce léger fond sonore de discussions où chacun fait comme s’il n’y avait rien d’extraordinaire à aller se frotter à la queue d’un rorqual à bosse. Nous sommes des touristes français qui allons voir les baleines sur le fleuve Saint-Laurent. C’est carré, clair et net, tous dans le zodiac. J’aime bien, à cause de mon accent, être une touriste française qui va voir les baleines dans le coin de Tadoussac. Il ne viendra pas à l’idée du capitaine de me demander si j’habite ici. Si je lui dis que je suis comme lui, il ne me croira pas. Les tempêtes ne sont pas des chevaux. Les vaches n'ont pas de collier. Il n'y a pas de sage, de devin, de shaman, de druide ou de saint. Nous sommes des nomades. J'ai vu la Terre bouger, par temps clair. Elle sort son dos lentement, la baleine bleue. 


L.M., Montréal, 24 août, 2012

Commentaires

  1. C'est un texte magnifique, je suis presque tenté de dire "comme d'habitude"....Je crois que j'aimerais beaucoup avoir l'occasion de lire tes textes en public...

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