À l'est des westerns
La maison de Shimun avant qu'elle soit repeinte ressemble à un tableau d'Edward Hopper sous toutes les lumières. Parfois il se balance sur son rocking-chair et roule des cigarettes d'une seule main — il regarde la télévision, les reportages sur la vie des animaux uniquement. Ce jour-là nous sommes un hiver. Les étincelles du jour se figent dans les cristaux de neige, les cordes à linge givrées, les lattes de bois peintes en blanc de la maison de Germaine derrière. Ce jour-là, Shimun regarde Noëlla lui préparer un thé. Elle vient de prendre sa douche et a noué une serviette vert d'eau assortie aux placards de la cuisine autour de ses cheveux mouillés. J'entends le son de la cuillère qui brasse le sucre dans la casserole où le thé est d'un noir ambré. Shimun porte un tee-shirt vert lui aussi, presque émeraude dans l'ombre de la journée qui décline. Tout est suspendu, le soleil lourd de froid, la raison de ma présence ici, l'avant-bras de Noëlla, le tabac qui ne se consume plus dans la cigarette roulée, le regard de Shimun, entre la nostalgie de la forêt et l'espoir qu'il met dans sa fille de garder vivant son territoire, là-bas, à Kukumess-assit — il l'a élevée comme un homme qui chasse. L’aiguille de sa montre au poignet gauche s'est arrêtée de battre le temps que je déclenche cette photo dans mon appareil Minolta, muni d'un 28. Mais peut-être qu'il ne regarde pas sa fille. Peut-être qu'il pense à s'acheter une feuille de bingo pour la partie qui commence à 19 heures à la radio communautaire. Ou encore à la cuisse de caribou congelée qu'il pourrait faire dégeler pour le dîner de demain. Peut-être qu'il se demande comme moi d'où vient cette impression d'avoir déjà vécu ce moment, en équilibre dans l'inquiétude de la tendresse. Il se tient comme un acteur de western qui prend une bonne inspiration de tabac avant de se retourner vers l'œil qui l'observe. Dans un fracas d'étoiles de givre, l'instant suivant nous partirons d'un grand éclat de rire.
L.M, Montréal, le 9 septembre 2012
Photo prise à Mingan (Ekuanitshit), en 1997
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