Courants | Vases communicants
Courants
Isabelle Pariente-Butterlin
I.
Il y a l'immense de la mer et l'immense des mots. Ce sont les deux lieux du monde que je comprends. Je ne les comprends pas tant que j'aimerais. On ne les comprend pas, en fait. On peut les ressentir et les aimer.
*Il y a le souffle des mots et le souffle de la mer.On trouve à respirer dans les phrases, plus facilement qu'ailleurs. Il faut trouver le sens comme on cherche les courants. Il n'y a que le sens qui porte aussi bien que les courants. Aussi loin que les courants marins et les dérives dans le champ des possibles et dans les espaces marins. Respirer à contre-sens ou l'accompagner. Dans les phrases comme dans la mer. C'est aussi compliqué, aussi aléatoire, et parfois le souffle est coupé. Coupé par le vent. Entrecoupé de vagues. On passe sous l'écume.Et parfois, aussi, cela arrive, sous les phrases de l'autre.*J'ai cette phrase de Kafka en tête, dans ses Mémoires : le bonheur est quelque chose de mousseux.L'écume est quelque chose de mousseux. Il y a une possibilité aérienne des phrases et de l'écume et du vent et du sel et du sens possible du monde qui se noue. Ici. Dans la phrase. Qui devient quelque chose de mousseux. Comme une vague. Comme une écume.Ce doit être pour cette raison que les phrases comme les vagues me rendent heureuse.*Les phrases sont quelque chose de mousseux comme la possibilité du bonheur. Vagues déferlantes.Je cherche toujours cette alchimie dans les phrases. Ce n'est pas une position théorique d'où je pourrais croire possible de les surplomber. Non, c'est ainsi. Comme quand on est enfant et qu'on cherche des étoiles de mer dans les rochers. C'est tout. Rien de plus. C'est comme ça.
II.
Il y a l'immense de la mer et comme il me manque dans le béton gris de l'automne. Rentrer, c'est partir.
*Il y a le manque de la mer et le froid du soir et l'avancée du crépuscule et la phosphorescence de l'ordinateur.Il y a le bruit du mail qui arrive sur la messagerie. Il y a les gestes habituels et la pesanteur des gestes. Le mail qu'on regarde. Un mail de Laure. Oui, je voulais bien que tu m'envoies ton texte avant que j'écrive le mien. Tu sais pourquoi ? Parce que les embruns me manquaient et je savais qu'ils seraient présents dans tes phrases.Et puis il y a les phrases de Laure et le texte qu'elle m'envoie par courrier. Et la mer et le vent et le froid sur le visage et les vagues, et les roulements des vagues, et le déferlement de la mer, et l'immense. Il y a tout cela dans son mail.Tout ce qui me manquait.*La mer de Laure n'est pas la mienne et c'est la mienne aussi.Ce sont les mêmes rêveries de l'immense, déposées au creux des vagues. Toutes ces possibilités de l'infini.Elles n'ont sans doute pas le même goût, la même salinité, le même bruit que les miennes, et je les aime d'autant plus. Il y a ce qui me manque dans ses phrases. Elles se déroulent. J'entends, comme si je portais un coquillage à mon oreille, j'entends qu'elles résonnent en moi.*Immense ou infini, l'océan est là, inconnu, dans les phrases qu'elle m'envoie.Lire ses phrases, c'est comme marcher le long des vagues, en parallèle, et parler des heures, ou ne pas parler.*De l'immense et de l'océan et de l'infini.
Isabelle Pariente-Butterlin
Le vendredi 5 octobre 2012
Joie d'ouvrir les Portes, dans le cadre des Vases communicants, aux Courants d'Isabelle Pariente-Butterlin. Je pourrais puiser à l'infini, dans ce texte profond et limpide, le désir de lire et d'écrire. Les phrases d'Isabelle me font penser aux spirales enroulées autour de certains coquillages. Je suis souvent allée me promener chez elle, Aux bords des mondes. Et c'est là-bas, en prenant appui sur les silences de mon hôte, entre les fractales de sa voix, que j'ai écrit Au bord des vies.
Vases communicants :
François Bon (Le tiers livre) et Jérôme Denis (Scriptopolis) sont à l'initiative des vases communicants : le premier vendredi du mois, de nombreux auteurs écrivent sur le blog d'un autre — à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."
Grâce à la généreuse attention de Brigitte Célerier, nous retrouvons ici la liste des 29 vases communicants de ce mois d'octobre.
C'est la deuxième fois que je participe à ce projet stimulant. La première fois, j'avais eu le bonheur de recevoir le poème de Michèle Dujardin, Ouvre bleue.
Commentaires
Enregistrer un commentaire