Le point de non-retour
C’était hier
plage noire de la Caspienne
sur des racines blanchies rejetées par la mer
sur de menus éclats de bambou
nous faisions cuire un tout petit poisson
sa chair rose
prenait une couleur de fumée
Douce pluie d’automne
cœur au chaud sous la laine
au Nord
un fabuleux champignon de Crimée
montait sur la Chine
Ce midi-là
la vie était si égarante et si bonne
que tu lui as murmuré
« va-t'en me perdre où tu voudras »
Les vagues ont répondu « tu n'en reviendras pas »
Nicolas Bouvier, 1953, Le dehors et le dedans
J'ai rêvé qu'il neigeait dans le Nutshimit.
Les rêves sont des pans de réel qui nous reviennent par vagues. Y plonger
comme dans la mer et tout revoir.
Je prends la tempête dans mon corps. J'absorbe la vie, le vivant. Je reçois
le tunnel du ciel qui se faufile partout dans la forêt jusqu'aux courants
argentés sous le lac ; les pierres aussi ont ce frisson, quand la neige fond autour de leur corps usé.
Une partie de soi, ailleurs, flotte. C'est l'enfance qui nous attend. Les
fantômes ne sont pas des morts, ce sont des vies que nous avons laissées en
suspens.
Le Nutshimit a gardé en lui mon visage comme il était. Ma silhouette d'alors continue de
se promener dans les sentiers moelleux de lichen aux empreintes de sabots de
caribous solitaires.
La légèreté est une vague qui nous poursuit pour nous ramener dans les lieux peu nombreux de cette terre où, au moins une fois, nous avons été heureux.
Le 6 octobre 2012
Commentaires
Enregistrer un commentaire