qui avait l'air de bien aimer Maniten
On n'épuise jamais un visage. Il reste toujours un pli au coin des lèvres, une brillance à l'œil qu'on n'a pas vus. Je perçois autre chose de toi, Shimun, quand je pense à ta mère Maniten. À ses petits yeux curieux qui roulaient gardant huilée la volonté de voir au-delà de la pente. Cette femme frêle t’avait mis au monde en chemin dans la forêt — elle et toutes ses grands-mères avec elle. Elle s'enfonçait, au courant qu'une église attendait ton baptême au bord de la mer, dans le nutshimit, en tirant à la force des hanches un traîneau sur lequel elle t'avait emmailloté au milieu de ta fratrie. Maniten était brillante. Vous aviez le même regard tendre épiant la moindre raison de rire dans les mouvements de l'autre.
Maniten m'a appris à broder des perles sur un morceau de cuir dans lequel elle avait découpé la forme d'un pied. Elle déversait le contenu d'un flacon, des petites billes bleu ciel percées, dans une soucoupe. Tout en surveillant le sifflement de la bouilloire sur le poêle, elle guidait l'aiguille que je tenais à la main avec des hochements de tête et une moue dubitative. Maniten ne voulait pas retourner dans le nord ; ses anciens compagnons de voyage lui auraient trop manqué — J'ai tout vu, je connais tout du nutshimit. Mais elle tenait à ce que nous partions là-bas bien chaussés. Avec tes filles, qui me jouaient des tours, je me trouvais à lui dire en innu des choses croustillantes. Elle faisait semblant de garder son sérieux puis éclatait d'un rire clair. Avant de la rencontrer, je ne savais pas que j'étais une "Blanche". Je l'ai appris quand elle a dit à sa petite-fille que j'étais sa première amie de cette couleur. J'ai toujours le gilet rose qu'elle m'a offert. Quand elle est morte, entre quatre-vingt-dix et cent ans, ce sont sa mère et sa grand-mère qui sont venues me le dire. Dans mon rêve : deux vieilles femmes des forêts.
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