Un parc à midi. Les balançoires ne bougent pas. Les enfants sont à l'école.
J'essuie des larmes d'avoir lu quelques pages d'un petit livre de Nicolas
Bouvier, où il parle de la naissance de son fils, à Tokyo. À bout de fatigue
dans un bistro près de l'hôpital, il s'était endormi sur son carnet de notes,
et quand le patron le réveilla, il découvrit sous
une liste de prénoms :
... deux lignes d'un graphisme hypnotique, tracées par une main qui était pourtant la mienne : ... « Pour parrain et marraine, le hibou et la baleine ».
Il fallait croire en ces corps émouvants, en ces chants qui dessinent sous
la nuit et sous l'eau, des langages protecteurs, les dessins translucides de
notre lien primitif avec la planète bleue, autour de la fragilité toute puissante, devant
laquelle nous nous inclinons tous, la naissance. Et c'est peut-être le souvenir
de son corps fatigué, de son regard noir, bourré des nuances de la vie, qui
semblait me mettre en garde contre ma propre vague, celle qui allait m'emporter
très loin de mon rivage, que je revois dans ce parc de Montréal en plein midi.
Sa femme se tenait à mes côtés. Nous étions à Saint-Malo. J'étais une gamine
qui voulais voyager, ils étaient ce couple qui savait le voyage et n’en faisait
pas tout un foin. C’est seulement aujourd'hui, quinze ans plus tard, que je
peux lire le langage translucide qui reliait leur regard, ces dessins
primitifs, secrets et silencieux qui tiennent deux corps ensemble et donne la
force de voyager, la distance respectueuse qui permet au corps de rester balancé
sur toutes les falaises, crêtes des vagues, la connaissance intime des failles
de l'autre dont on le protège, la possibilité de se remplir des trop pleins de
la vie sans s'y perdre, l’amour.
Montréal, Le 17 octobre 2012
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