un goéland nous suivait, ramenant dans ses plumes la lumière cachée, nageait de ces cargos, les pattes palmées coulissantes, sentait les courants glisser des fjords du Saguenay à ceux du Cap Horn, les trois mats barques en maquette zigzaguant sous le 50è parallèle, lui s'en souvenait, le goéland notre phare immobilisait le temps, repliait les cartes jusqu'à faire coïncider les latitudes sud et nord, le début du 20è et celui du 21è siècle, repérait les ancêtres qui nous faisaient des manteaux de brume sur la digue, ce n'est pas tous les jours que l'on entend des gens évoquer leurs souvenirs d'enfance à l'autre bout de l'océan, sous les capes des marins qui les ont laissés s'élever dans les jupes des maîtresses femmes, et nous étions contents, grâce à ce goéland échappé de la constellation des siens, nous savions qu'un grand-père nous ouvrait la voie de l'eau et de la terre avec son rire espiègle et ses yeux d'aurores septîliennes, nous marchions au pas du goéland qui
nageait pattes repliées, les yeux sur les côtés, les mains dans les poches et le
nez un peu en l’air, comme font les goélands quand ils nous regardent mine de
rien, plus rien ne comptait que cette vague d’amour invisible sur laquelle nous
surfions avec l’oiseau grand-père, nous ne pensions même plus à cet hôtel vue
sur mer, près de la poissonnerie de la rue Arnaud, nous ne pensions qu’à
éponger nos cœurs de leur allégresse contre des bois flottés, à rire par
saccades entre deux grandes bouffées d’embruns
Le 14 octobre 2012
© Photo du cargo : Marie-Odile Thirion
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