"Ô décembre", Anna Jouy | Vases communicants

Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre. Grâce à la généreuse attention de Brigitte Célerier, on trouve en cliquant sur ce lien : la liste complète des vases communicants de décembre. 
Vase communicant : "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre." Et chez Anna Jouy, comme on se sent libre... Dans son Journal poétique jeté sur l'aube se déploie, heure par heure, l'affranchissement d'une parole qui ne se mesure qu'à la nuit. Le lever du jour scintille entre les plis de nos douleurs, que l'auteure soulève et dompte dans une poésie à l'extrême tension — la joie de tout pouvoir dire, avec l'audace d'une langue sans cesse réinventée, le regard acéré.
Notre règle du jeu avec Anna Jouy, pour ce vase communicant, était de faire apparaître dans chacun de nos textes les mots : reflets-dans-un-regard-décembre-naissance-arbre-le-fleuve-l'absence-voyage. 
Mais le mot market lui aussi ricoché. Le frottement des langues dans le texte d'Anna m'a ouvert un chemin vers Vigneault... "I love you vous n'mentendez guère", ma réponse à "Ô décembre" est en ligne ici. Et je suis très heureuse d'accueillir ce texte d'Anna Jouy dans le cadre des vases communicants de décembre, "ô décembre"...
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Ô décembre,

La voici, ta naissance Fraîche. -Top of the news-. Si neuve, qu’à chaque fois, je ressors les arbres du carton, le fleuve du long voyage et l’amour de son absence.

Une naissance de nuits sans arêtes, si longues aussi, -so long, timeless-, que j’en tisse le deuil de la terre sous mes ongles. Aux forceps croque-mitaine.

Essai de flaconnage des eaux, du plasma, de la montée laiteuse…

Ô décembre amour. Rien n’est assez romantique, -le riff aux nerfs-, assez psalmodique et mélodieux jusqu’aux poumons, pour te dire. Des louanges avec des poupons roses partout, des cuisses savoureuses de chérubins confits. De la musette, du hautbois, de ces machins qu’on n’entend jamais dans les supermarkets mais qui seraient sans doute nécessaires à te faire résonner.

Essai de maltraitance sur des anges et des oies de Noël, éradiquer l’ouate surnaturelle. À la chaîne électrique.

Tu te gonfles la panse, décembre, comme de la peau de biniou. Bagpipe and spits. Tu es le mois gâté, le mois aux drôles de lumières, farfadet et hypocrite, les deux, partout. Super Big ! Et même, à nouveau les arbres, tellement ornés, tellement chargés qu’on y lisse du doigt le reflet des regards. Avec leurs miroirs convexes qui étirent nos gueules de poisson -Christus Christmas !- Oh ! Oui ! Naissances niaises en breloques d’oreilles, à la jupe des troncs.

Essai de détermination des plantes pinéales qui s’éclatent en étoiles au sommet.

Décembre amour, tu es venu, mal venu, bienvenu, pas le choix. Janus des bordures, plus rien d’hier et rien de demain. Avec tes semblances d’opulences, mais du toc jusqu’au cœur. Vanity-case à même le ventre. C’est la gigue sans cesse, le gavage de vents, de trêves mercantiles où l’on achète ses représailles dans les coffres des sicaires.

Essai de succion et de « prose-combat » dans le gras double des poitrinaires de napalm.

Ô décembre, décembre…

Je suis dans mes terres, les sacs noirs des socs déversés. Personne n’imagine ici voir glisser des bateaux sur des fleuves au long cours. Mais décembre, oui, tu viens. Tu nais au cœur du champ entre des échasses de bise. Et d’une langue blanche et froide, tu lapes mon continent sans plus d’enfance, d’une mer sans pareille. Je grimpe le voyage, je coule un instant corps et biens avec. Je touche dans le solstice des banquises, la fonte de l’absence.

Décembre, tu me fais aborder l’espace du seul voyage qui me tienne. Mon horizon va jusqu’à là-bas. Mon pays recoud les failles de l’océan et se donne un fleuve avec des vagues comme des arbres d’écume. 

Alors décembre, ton ombre blanche m’en impose

Essai d’un temps sans plus d’absence et d’un autre reflet de mon regard.


© Texte et photo: Anna Jouy


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6 décembre 2012 - 18 h au Québec / 7 décembre - 0 h en Suisse 


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