Le dernier carnet de dessins

(1) Les bernaches 

La mer baisse. Elle descend. Bourrasque chaude des oies sauvages. Une nuée bleue plumes moires. Écrire d'un trait, ce que les oiseaux m'ont appris sous l'œil attentif d'un grand-père qui peignait le mouvement. L'eau pellicule mouillée glissant sur le sable, de longues virgules laissées dans les creux de l'estran. Il disait "regarde elles savent vivre ensemble, les bernaches" lui qui vivait seul maintenant dans un appartement de la place de Landouar à deux pas du chemin des douaniers. Parfois il s'endormait sur le banc de granit, sous un pin maritime. Il rêvait peut-être d'elle, de leur voyage de noce à vélo, lorsqu'elle avait tenu à l'emmener sur la presqu'île. Jamais il n'aurait pensé ailleurs revenir seul, car c'est elle, avec ses yeux bleu clair qui lui avait montré à aimer la mer. Il tenait son carnet à la main, n'avait plus le courage de porter un chevalet. Et il aimait me dire qu'il n'avait pas besoin de photographies, qu'il préférait des murs recouverts de croquis, d'aquarelles, d'encres, avec pour signature la marque d'un tampon thaïlandais. La mer baisse. Elle descend. Les oies pleines d'un vide, discrètement laissé à même le blanc de la page ont été crayonnées au Bic comme les vagues, ces ratures. Un fouillis noir qui trouve son équilibre dans les écarts et cette touche de jaune pâle d'un soleil reflété.
Les bernaches dos à dos dessinent les parois d'un immense sablier, d'où s'écoule le soleil.





Page ouverte au hasard dans le dernier carnet de dessins de mon grand-père Jean Thirion qui disait aussi : "peindre d'un seul souffle sans lever le pinceau".

(Une seule trace de mauve en bas de la page, peut-être une algue ?)










Le 24 janvier 2013

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