Poèmes d'Artibonite

un ruban mauve
effiloché au poteau
rejoint ma main
vivante


salle de classe
vide dans la vallée
le tableau d'ardoise
luit

un urubu

bruit des motos
sur la grand route

la fumée grimpe
du cimetière

fête des morts



"l'école votre visage"
sous les feuilles
d'un arbre

"dieu tout puissant"
écrit au feutre
sur un pupitre

au reflet fleuri
sans connaissance
l'ombre douce d'un serpent

joie
que le rêve couve
Artibonite



Une fournaise
rampe
le long
de mon mollet

Corps nu
Respiration pulmonaire
Silence
Température

les mots restés au tableau
lycée d'Elmère

chaque pensée
que le nom soulève
touche en écho
brûlant l'ombre
dont il me couvre


*

Une table verte
une chaise bleue
l'ombre d'un arbre
des voix, la texture courbe
le grain de sel
de mon silence
qui roule au sol
et boit son ombre
aux Gonaïves
j'attends l'heure
d'aller au cimetière


Un ruban bleu
anciennement mauve
au tronc d'un arbre

le rêve me rejoint
vivante

*

Brins de tabac éparpillés
au sol mon offrande
à la vie dans le cimetière
de la plaine des plateaux
de l'Artibonite un homme
dort sur une tombe
parmi les fruits mûrs écrasés
et les caveaux éventrés

tant de secondes me rattrapent
que je m'étonne à peine
de la main de la jeune femme
glissée dans la mienne
parmi les manèges rouillés grande roue
sur la place que nous traversons en sortant
du cimetière où la tombe de trois jeunes martyrs
tombés un 28 novembre 1953 sur le trottoir
n'a pas eu droit d'enceinte

*

Qui boit qui ?

Le vivant boit le mort
Ou le mort le vivant ?
Si je crache sur sa tombe
Si j'embrasse ma mort
En salivant sur la sienne
Si je m'étends sur sa sépulture
Pour qu'il m'accorde
Quelques années de vie
Je fléchis d'abandon
Devant cette transe
Mise en branle par la grande
Spirale qui nous délie
Dans les effluves
De diesel et de clairin
Vivons mes pieds sales
Seront les tiens
Petit père

*

Rêvé
Qu'on ôtait le foie d'un homme
Délicatement
Et qu'ensuite il devait
L'ingurgiter par la bouche
À la cuillère

*

Nous bateaux fenêtres et portes
au cœur du monde
sans répit déployant
ouvrant caressant lumière
libres de vous porter en dehors
de vous de nous en eux
les autres oh oui les autres
seront vous par les glissades
de la lueur derrière l'écran
qui tout sépare clairement relie

Nous ports golfes océans
enclaves du soleil sous toute latitude
lavant la poussière des corps
morts ou vivants nous
chargeons le gris de bleu
jusqu'à tirer l'horizon
vers vos rêves
autour du cou nœud coulant
pour vous forcer à plonger sous
le mur la peau la chair
manger la viande de vous
jusqu'à la moelle renaissance
boire sans fin le trou
où le jour tient en équilibre

*

Des fraîches branches
du serpent d'eau
j'exécute la danse

dans le reflet
de l'étang
quel est ce frisson mordoré
qui provoque l'absence

Balaie-moi



Artibonite, Haïti, le 2 novembre 2013

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