Orange sanguine — le prélude
Cette nuit, après avoir mis la dernière touche à Orange sanguine, j’ai revu mon grand-père en rêve. Vingt et-un ans que je n’avais pas touché ses mains, fondu sous son sourire.
Est-ce le pouvoir de la poésie? S’enfoncer dans le silence, creuser le temps, recueillir les traces infimes de la présence des gens que l’on aime. À force de patience et d’abandon, guidée par la lumière de l’enfance, je rattrape la main qui me pressait un fruit rouge dans un verre à moutarde. Mon grand-père avait perdu son pays et me le rendait chaque matin en me faisant boire le jus de l’orange sanguine; gage d’une vie de nomade et de résistant, il m’offrait la terre dans un fruit.On croit voyager. On prolonge simplement la route de ceux qui nous ont nourris. Le vent de départ qui me précède me ramène chez moi au poème. Écrire permet de faire circuler le souffle du monde dans l’enveloppe des mots et, comme les mots font partie de notre corps, la poésie aide à mieux respirer. L'Autre entre dans le texte, notre regard se lave. «À l’image d’une rivière peu profonde dont on voit le lit de sable fin», la légèreté fluide dépeinte par Bashô s’éprouve pas à pas, avec l’intuition du temps et des frictions nécessaires aux rochers pour se changer en poussière soyeuse.L’écriture est le seul pays que je connaisse où il fait bon se sentir étranger. J’ai suivi la route, le fleuve, la feuille, le pétale, le flocon, l’écume, l’air, la libellule, le parfum de ma grand-mère, la lune, la glace, l’orange sanguine, sans savoir que j’étais en train de ramener mon grand-père à la vie.
Ce monde de rosée
est un monde de rosée
pourtant et pourtant
Issa
Je n’ai pas appris à dire Venise
Vienne, Dieppe
Helsinki
j’ai suivi le chemin vers
la rousseur de l’été
où tombent les feuilles vivent
de vieux papillons
Orange sanguine, Laure Morali, Mémoire d'encrier, 112 pages, 2014 /
La Passe du vent, 118 pages, 2015
La Passe du vent, 118 pages, 2015
C'est un coup de maitre. Tu écris si facile l'hitoire du temps. Félicitation Laure
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